Monseigneur Marbeau : l'évêque de la Marne

L’évêque sauve Meaux du chaos

Au cours de l’Histoire, des personnages, se dressent pour prendre en main le destin d’une communauté, d’une ville ou d’un pays. En septembre 1914, c’est l’évêque de Meaux qui va jouer ce rôle.

 

En 1914, Emmanuel Marbeau est évêque de Meaux depuis quatre ans.
Né en 1844 à Paris, c’est un homme vénérable, que tous ses paroissiens admirent.
Modeste, il a passé́ une grande partie de son sacerdoce à Paris et s’est occupé́ de nombreuses organisations de charité́, avant d’arriver dans la cité de Bossuet.

Monseigneur Marbeau, évêque de Meaux
Source : Médiathèque Luxembourg

Août 1914

Au début du mois, pendant la durée de la mobilisation, Monseigneur Marbeau se tient à la gare de Meaux, distribuant croix et médailles aux soldats qui embarquent dans les trains, en partance pour le front. Le 19 août, une infirmerie appelée « ambulance de gare » est créée, dont l’initiative revient aux Dames de la Croix Rouge.

Dirigée par une infirmière-major, Madame Alliot, cette infirmerie assure l’alimentation des trains de blessés, de passage à Meaux et le changement des pansements.

Le service est assuré par des infirmières diplômées et des infirmières stagiaires, plus un personnel de cuisine.

Certaines meldoises proposent leur aide. Le service de garde est continu.

 

1er septembre 1914

Vers 21h00, quelques éclaireurs britanniques arrivent à Meaux par la route de Senlis.
Ils font partie de l’avant-garde du général Haig.
Le Corps Expéditionnaire Britannique, depuis la Belgique, retraite, talonné par l’armée allemande de Von Kluck.

 

2 septembre 1914

6h00 du matin, le tambour de la ville, publie un avis du maire Georges Lugol : qu’en prévision d’une occupation probable de la ville par les Allemands, il y a danger à rester à Meaux.
Les personnes qui voudraient partir, pourront prendre place dans des trains, mis à leur disposition.
Dès le matin et jusqu’au soir, la gare de Meaux est envahie…

La menace d’une arrivée soudaine des Allemands, derrière les forces britanniques, provoque ce départ, ainsi que le départ d’une partie des autorités civiles meldoises.

L’arrivée massive de réfugiés, venant du Nord de la Seine-et-Marne, augmente aussi, le flot de ceux qui partent en train vers Paris.

D’autres réfugiés, avec chariots et bétail, prennent, à pied, la direction Sud du département.

Au matin, on ouvre les portes de la villa Villeboisnet, située 23 boulevard Jean Rose, pour l’installation de l’Etat-major britannique, du général Haig.

L’hôtel-restaurant de la Sirène est aussi réquisitionné par les Britanniques. (L’ancien hôtel se situe au 35 rue du général Leclerc).

Toute la nuit, les troupes britanniques du 1er Corps d’Armée, traverse la ville, et prennent la direction Sud : Coulommiers, Crécy-la-Chapelle et la vallée du Grand Morin.

 

3 septembre 1914

Meaux, dans la matinée, l’arrière garde britannique et ses sapeurs du Royal Engineers, coulent tous les bateaux lavoirs sur la Marne, ainsi que la passerelle des Moulins de l’Echelle, située entre le quartier du Marché et la place de l’hôtel de ville, et une autre passerelle, tout à côté, et une dernière, quai Sadi-Carnot.

Les autorités meldoises ont été informées ce matin, par les Britanniques, que les ponts sur la ligne ferroviaire en direction de Paris, d’Esbly à Lagny-sur-Marne, seront dynamités dans l’après-midi, par les sapeurs du Génie de l’Armée de Paris.

Par instructions officielles, l’ambulance qui s’était établie en gare de Meaux, avec son matériel, ses infirmières et son personnel, et accueillait et soignait, depuis les derniers jours du mois d’août 1914, les blessés arrivant par train, doit être évacuée sur Orléans.

9h15 : le train emportant les derniers infirmiers militaires quitte la gare de Meaux.

11h40 : en gare de Meaux, départ du dernier train pour Paris, il emmène les dernières autorités civiles et militaires, ainsi que Georges Lugol, le maire, mobilisé avec le grade de capitaine. (Il ne reviendra dans Meaux que le 18 septembre).

Il remet la ville entre les mains du seul conseiller municipal resté dans la vieille ville, Charles Testard, 69 ans, ancien serrurier et capitaine honoraire des pompiers, métier qu’il exerce depuis 33 ans.

Malgré une certaine réticence envers la conduite des affaires par un évêque, il remplira un rôle important dans la sécurité de la ville.  (Le 10 septembre, Monseigneur Marbeau, le félicitera en l’appelant " L’homme introuvable").

Vers 14h00, les Britanniques font sauter une arche du pont des Moulins du Marché, pont qui se situe face à la rue du Grand Cerf.

La ville de Meaux est désormais scindée en deux parties par la Marne : la vieille ville au Nord et le quartier du Marché, au Sud.

Sur une population de 14.000 habitants, au total, environ 2.000 meldois sont restés.
(8 septembre 1914 : 1 124 habitants recensés, dans la seule vieille ville au Nord).

Meaux n’est plus relié que par la route de Paris.
Tous les services (eau, gaz, voirie) sont laissés à l’abandon.
Il n’y a plus de police, les magasins sont fermés.

La nourriture commence à manquer pour la population et les troupes de passage.

La ville est sans autorité municipale ou presque.

 

4 septembre 1914

C’est dans ce contexte chaotique, où la population meldoise est livrée à̀ elle- même, que Monseigneur Marbeau (70ans) propose de mettre en place, un comité des intérêts de la ville.

L’évêque représente avec la structure épiscopale, la seule autorité morale, encore présente.

A 10 heures, une première réunion a lieu.

Un comité, qui rassemble des membres du clergé et des citoyens meldois, est chargé d’organiser le ravitaillement, la sécurité et l’hygiène de la ville.

Des vigiles, armés de bâtons, devront effectuer des rondes de nuit, dans la ville, afin d’éviter les pillages et autres cambriolages qui sévissent hélas.

Ce comité devra organiser récupération, réquisition et distribution des produits alimentaires. (Viande rationnée aux abattoirs).

Ce même jour, Alfred Dagneau, le chauffeur habituel d’Emmanuel Marbeau, avec la voiture de l’Evêque, a quitté Meaux pour aller chercher, à Lizy-sur-Ourcq, Edouard Marbeau, frère de l’Evêque, et le mettre en sécurité, devant l’avance ennemie.

Edouard Marbeau est le directeur d’une usine de ferronickel.

Depuis août 1914 Monseigneur Marbeau offrait en gare de Meaux, aux combattants partant pour le front, une petite croix fabriquée spécialement dans l'usine de son frère.

(De nos jours, un bâtiment de l’usine a été sauvegardé, il se situe sur la place centrale de Lizy-sur-Ourcq).
 
Edouard Marbeau quitte Lizy-sur-Ourcq, accompagné de ses deux contremaitres.

En reprenant la route en direction de Meaux, ils sont arrêtés par les Allemands à Varreddes, puis conduits à ce qui sera le futur emplacement du monument Notre Dame de la Marne.

Ce lieu est situé au carrefour de quatre routes, permettant ainsi d’envoyer dans chaque direction, des messages aux troupes allemandes progressant vers la Marne.

Sous une vaste tente est établi le poste d’observation du Quartier Général de la 22e Division de Réserve allemande du général Riemann.

Avant d’être interrogé et obtenir tous renseignements sur les mouvements des troupes françaises et britanniques, Edouard Marbeau, avale par prudence, la rosette de sa Légion d’Honneur…

Ils sont finalement tous relâchés, mais sont chargés d’annoncer à la population de Meaux, que le lendemain, les troupes allemandes seront devant Paris…

La voiture de l’évêque est réquisitionnée…

 

5 septembre 1914

6h00 : une patrouille de cavaliers allemands (des uhlans), venue de Varreddes, découvre que les passages sur la Marne sont coupés.

Les cavaliers repartent par la route de Senlis, en tuant un cavalier français posté sur le pont de l’Ourcq.

10h00 : deuxième réunion du comité.

Monseigneur Marbeau et le comité décident d’envoyer l’abbé́ Engelmann, en vélo, à Paris, porteur d’une missive, pour demander médecins, chirurgiens et pharmaciens.

Dans l’après-midi, c’est le début de la bataille de la Marne !


6 septembre 1914

Un jeune lieutenant allemand, Wilhem der Eweite, depuis le quartier du marché, réussit à franchir la Marne, en se mouillant légèrement les pieds, sur la passerelle en partie détruite, celle qui débouche sur la place Lafayette.

Arrivé devant l’hôtel de ville, il est capturé par quatre tirailleurs algériens de passage et postés dans la mairie !

A 10h00, une troisième réunion a lieu chez Monseigneur Marbeau.

14h00, quatrième réunion.

Une autre section est créée : celle du service de santé et secours pour les malades et les blessés.

On fait appel à des meldoises pour se porter comme volontaires infirmières, pour secourir les blessés.

Une affiche est rédigée pour être apposée sur les murs de la ville, le lendemain.

La maison de l’évêque devient le centre de ravitaillement, de secours et d’information.

 

7 septembre 1914

Meaux, le quartier Saint-Faron est bombardé par l’artillerie allemande. Les Allemands veulent couper la ligne ferroviaire venant de Paris.

Ils craignent, par cette voie, d’éventuels transports de renforts français.

Certes, ils ont constaté que le pont ferroviaire de Trilport a été dynamité. Mais ils ignorent que le 3 septembre, le Génie français a fait sauter les autres ponts vers la capitale, d’Esbly à Lagny-sur-Marne.

De retour de Paris, à bicyclette, l’abbé Engelmann annonce à Monseigneur Marbeau, qu’un seul médecin de l’Assistance Publique ne pourra venir que le 9 septembre…

(L’abbé Louis Engelmann, infirmier militaire, mourra le 14 décembre 1916, à l’âge de 35 ans, des suites d’une fièvre infectieuse, contractée en service, sur le bateau-hôpital Canada, en rade de Salonique en Grèce).

Jusqu’à̀ la fin de la bataille, l’action de l’évêque et du comité va se concentrer sur l’accueil des nombreux blessés des troupes françaises, qui commencent à affluer des champs de bataille, du Nord de Meaux.

Le petit séminaire (actuelle école Sainte-Marie, au 41 rue de Chaâge) avec ses 130 lits, vidés de ses collégiens et l’hôpital de la ville, sont mis à̀ contribution avec l’aide de bénévoles, faute de personnel médical.

En l’absence de médecins, les religieuses des Augustines, organisent les premiers soins à l’école Sainte-Marie.

Deux ecclésiastiques se portent volontaires auprès des ambulances militaires françaises, installées dans l’église de Neufmontiers, pour porter secours aux blessés français et allemands.

Mais ils viennent aussi informer les médecins militaires de la dramatique situation des blessés à Meaux et le manque de chirurgiens.

 

8 septembre 1914

Devant l’affluence de nombreux blessés, le lycée Moissan ouvre ses portes et sert d’hôpital provisoire. Prés de 1.000 blessés seront soignés à Meaux.

L’abbé Engelmann va au secours des blessés sur le plateau de Chauconin-Neufmontiers et Charny.

De là, il se rend à Paris pour ramener le médecin Mr Julien, qui arrivera à Meaux, le 9 septembre.

 

9 septembre 1914

Plusieurs médecins militaires et civils, arrivent enfin par la route de Paris.

(Les autorités craignaient durant les jours précédents, que les secours soient interceptés par des patrouilles allemandes).

Le génie français jette une construction de bois sur l’arche détruite du pont du Marché, réunissant ainsi la ville.

Deux autres ecclésiastiques se rendent à l’ambulance du château d’Automne, sur le territoire de Chambry.

Dans la nuit ils assistent à l’enlèvement des blessés, qui sont dirigés vers Paris.

 

10 septembre 1914

Les blessés affluent à Meaux, mais aussi les secours.

La bataille de la Marne s’achève sur une victoire et le repli des armées allemandes.


11-18 septembre 1914

Évacuation des blessés par les voitures ambulances de la Croix Rouge ainsi que des ambulances américaines et britanniques.

On évacue aussi les blessés, par bateaux, par le canal de Chalifert.

Les jours suivants, Monseigneur Marbeau, se rendra, sur le champ de bataille et dans plusieurs villages (Barcy, Etrépilly, Trocy et May-en-Multien, Crouy et Lizy-sur-Ourcq et enfin Varreddes) pour s’informer des dégâts subis par les habitants et les secourir.

Une seconde tournée le conduira à Chauconin, Neufmontiers, Saint-Soupplets, Marcilly et Barcy.

Visite de Monseigneur Marbeau à Barcy après la bataille de la Marne en 1914
Source : Médiathèque Luxembourg

Le 13 septembre, au matin, M. Richard, premier adjoint du maire, est de retour, 10 jours après le début des évènements...

Le 16 septembre 1914, l’évêque de Meaux va réconforter les blessés de la catastrophe de Mary-sur-Marne, le train sanitaire tombé par accident, dans la Marne.

Durant ces jours dramatiques, Monseigneur Marbeau avec onze prêtres, tous dévoués dans les ambulances, ont apporté un véritable secours à la ville de Meaux.
 
Le 31 octobre 1920, en reconnaissance de toute son action, Monseigneur Emmanuel Marbeau sera fait Chevalier de la Légion d’Honneur, médaille remise le 14 décembre 1920, par son frère Edouard Marbeau.
 
Décédé le 31 mai 1921, Monseigneur Emmanuel Marbeau, repose, dans la nef de la cathédrale, non loin de son illustre prédécesseur, l’évêque Bossuet (1627-1704).

Tombe de Monseigneur Marbeau dans la cathédrale de Meaux
Source : MGG

Le 10 septembre 2004, pour le 90e anniversaire de cette bataille,  à Meaux, jouxtant l’église Saint-Nicolas, un square Monseigneur Marbeau a été inauguré.

Le 8 novembre 2018, dans ce square, en sa mémoire, une stèle pour la Paix, a été inaugurée, celle-ci est surmontée d’une croix, réplique agrandie, de celles qu’il distribuait en août 1914, en gare de Meaux, aux combattants, partant pour le front.